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"Il faut remettre au coeur de la société une véritable exigence intellectuelle"



Agnès Mauffrey, CTO - Solocal



Avec un diplôme d’ingénieur en poste et bientôt 40 années passées dans la Tech, Agnès Mauffrey a travaillé dans le secteur des Télécoms (DSI de SFR), en ESN (en charge de Business Unit, notamment chez Capgemini), dans un grand groupe industriel (Group CIO chez Michelin), dans un autre grand groupe de services (Group CIO chez Sodexo) et maintenant en tant que CTO chez Solocal.

Ce qui l’anime dans son parcours est l’apport de la Tech dans la transformation et la performance de l’entreprise, l’attention portée à l’humain et l’impact sur la Société.




Quels sont vos enjeux actuels et comment les adressez-vous?


Mes enjeux professionnels se situent autour de l'usage des nouvelles technologies, pour un usage raisonné, créateur de valeur. Je pense que nous ne vivons pas encore dans un moment où nous tirerions toutes les promesses espérées de l'usage de l'intelligence artificielle. Il y a d’abord la question de la matière première de l'IA : la donnée. Veiller à sa véracité et sa protection requièrent une attention permanente.

Nous n’avons pas non plus les modèles pour mesurer les impacts concrets, pérennes et acceptables de ces nouvelles technologies. L'aspect social en particulier.


Un autre enjeu pour moi est « faire Société », incluant le rapport à l’Autre. Dans un monde qui est extrêmement complexe, anxiogène à de nombreux égards, parfois même violent, y compris en entreprise, il peut y exister une réelle déconnexion entre le top management et le terrain. Je l'ai parfois observé. Partant d’une formation d’ingénieur, j’ai constaté que plus on monte dans les strates de direction de l'entreprise, plus on a un risque d'être déconnecté de la réalité, par rapport à l'argent par exemple. Sans vouloir généraliser, j’ai été témoin, même si les dirigeants s’en défendent, de situations où la personne qui est sur le terrain est moins « valorisée » que celle qui opère dans les strates dirigeantes. J’ai aussi pu observer le contraire dans un grand groupe industriel.


Dans ce contexte économique, géopolitique et social lourd, où les technologies prennent de plus en plus de place (cf. l’explosion de l’IA), nous avons donc intérêt à remettre l'humain au centre du jeu, en n’excluant pas nombre d’entre eux. Ce ne serait de toute façon pas durable ! Il nous faut respecter chaque personne, lui donner sa place en fonction de ses capacités (et aussi de ses efforts).

 


Comment imaginez-vous leurs concrétisations dans 5 ans?


D’abord j’observe un emballement temporel: regardons la cadence à laquelle les nouveautés technologiques et leur potentiel arrivent! Alors se projeter à cinq années est un exercice hasardeux.


  • Je veux croire que dans les années qui viennent on trouvera des usages des technologies qui seront au bénéfice du plus grand nombre. Par exemple la réduction de la pénibilité ou du non-intérêt de certaines activités ou tâches.

  • Espérons aussi qu’un peu de régulation saura se mettre en place. Comment réguler a minima les pouvoirs exorbitants de certains acteurs de la tech ?

  • Et encore et toujours, je voudrais que tout cela ne bénéficie pas qu’à un nombre réduit de gens « chanceux », éduqués autrement que par les seuls réseaux dits sociaux !


Récemment, dans une de ses chroniques, Gaspard Koenig a exploré « le développement de la sensibilité à la nature, la réhabilitation du vivant ». Je trouve que c’est un formidable complément à l’envahissement des technologies, sans s’en affranchir.


Je m’efforce d’être résolument optimiste, ce n’est pas tous les jours facile ! Heureusement quelques leaders ont cette conscience, cet amour finalement, de l'humain chevillé au corps. Au sein de la jeune génération, les plus éduqués et chanceux, voient bien qu'il y a quelque chose à faire et se battent pour une société vivable pour le plus grand nombre.

Sans tomber dans les délires du wokisme, il y a un chemin et il faut remettre au cœur de cet ensemble une véritable exigence intellectuelle (loin de ce qui est véhiculé par les « ingénieurs du chaos », cf. Giuliano da Empoli). Selon moi, cela passe par le fait de développer l’appétence pour l'effort, l'effort intellectuel, l’effort de lecture, d’accepter la contradiction pour un monde plus nuancé.


Malgré certaines véritables plus-values apportées par les technologies, dans un environnement de plus en plus compliqué à cause de du dérèglement climatique et des catastrophes qu’il entraîne, à cause de la montée des populismes, j’aimerais que l’on remettre cette dimension humaine au centre ! Chez Michelin par exemple, où j’ai passé dix années, l’actuel patron parle de « salaire décent », il ne s’agit pas d’une posture car il y a une vraie conviction derrière.

 


Quelle a été la création de valeur de la transformation digitale dans votre secteur?


Dans mes récentes entreprises, la technologie a bousculé les business models. On a rendu les interactions entre les différentes parties prenantes complètement différentes, et si vous n'évoluez pas, vous vous mettez hors marché. Donc oui, la technologie est créatrice de valeur dès lors qu'il y a une stratégie et un but, pas simplement de la techno pour la techno.


Elle a rendu plus exigeant le travail à faire par les entreprises dans la construction, ou plutôt la refonte, de leurs modèles d'affaires à travers la question du:

  • "Comment je me différencie?"

  • "En quoi cela permet d'améliorer ma top line, d’améliorer ma rentabilité?"

  • "En quoi cela me permet de fidéliser mes clients?"


Tellement d’acteurs, digital natives, arrivent sans le poids du « legacy » (mais aussi sans l’expérience qui va avec) pour aller vite, chambouler et prendre des parts de marché.


J’étais dans une entreprise historiquement BtB et les technologies (mais aussi la pandémie de 2020!) ont rendu l'entreprise BtBtC car le consommateur (employé) devient prescripteur du client (employeur).


La transformation numérique apporte des opportunités d'efficience opérationnelle. Dans des usines par exemple, il s’agit de mieux comprendre comment les machines fonctionnent, quelle est la combinaison de composants et de procédés qui maximise la production qualitative.

 


Quels sont les difficultés et questionnements que vous rencontrez dans la mise en place d’initiatives environnementales et sociales?


Le premier sentiment que j’observe est l’incertitude, une angoisse certaine apportées par ce que le monde nous donne à observer aujourd’hui !

L’entreprise porte une véritable responsabilité, non pas pour répondre à tout ce qui se passe dans le monde, mais au moins dans son domaine d’activités et ses interactions avec toutes les parties prenantes.


L'environnement était et reste un sujet majeur dans une de mes entreprises précédentes, par conviction et par la force de l’histoire de ladite entreprise.

Au-delà des envolées des entreprises sur la RSE, j’ai pu observer que certaines ont pris le sujet à bras le corps sur la problématique de l’environnement et assument leur responsabilité sociale (sans non plus être naïves, un entreprise sans croissance profitable n’est pas durable).


Sur un plan personnel, la question qui me taraude le plus est lié à ce que ma génération – définitivement chanceuse - laisse aux jeunes.

 


Comment gérez-vous la tension et la pénurie de talents?


Je suis actuellement «manager de transition» et dans ma mission actuelle, l’enjeu est la rétention des collaborateurs à travers un développement de leurs compétences dans un environnement suffisamment passionnant et challengeant.

Dans ce prolongement, je pense que l’Education devrait être le sujet prioritaire (ou un des sujets prioritaires) des politiques, non seulement vis-à-vis des technologies mais plus largement pour préparer au mieux les jeunes au monde que nous leur laissons. Peut-être faut-il aussi former les formateurs / professeurs pour cela…

 

 

Le livre, le film et le lieu qui continuent de vous inspirer?


Je ne sais pas quoi vous répondre car j’en ai tellement! Assez récemment le livre L’enragé de Sorj Chalandon, puis Un lit de ténèbres de William Styron : cette lecture m'a marqué car je me demande comment il est possible à 25 ans d’écrire une telle histoire! Je terminerai avec Les frères Karamazov de Fiodor Dostoïevski.


Sérénade à trois d’Ernst Lubitsch est un modèle de comédie, du début des années 30 bien plus subtile et osée que certains films contemporains.


Concernant le lieu, je vous dis la montagne. Lire le soir après une journée de marche et changer de place pour bénéficier le plus longtemps possible des rayons du soleil, j’adore !

 


Votre devise ?


Pas sûre d’en avoir une. Mais à titre personnel, j’aime celle de la couronne britannique: never explain, never complain! Car je lui donne le sens suivant : se prendre soi-même en charge, ne pas se reposer exclusivement sur les autres.

Ainsi vient la satisfaction au bout de son effort d'obtenir quelque chose: cela peut être un salaire pour celui qui est allé travailler, qui a donné trois heures de temps à une association, la récompense d’avoir atteint un sommet !

 

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