Samuel Latchman, Chief Operating Officer - Buzz Brothers
Avec 25 ans d’expérience en agences de communication petites et grandes, Samuel est sur le point d’avoir fait le tour du sujet… ou du moins il l’annonce chaque année.
Tombé dans l’Internet à la fin des années 90, il a fait sa carrière en touchant à tout : création, design, développement, gestion de projets, RH, finance… Rattrapé par le management, il a consolidé ses acquis en une vision holistique des Opérations.
Passé par McCann, Ogilvy et Publicis, il a rejoint Buzz Brothers il y a sept ans pour combiner retour au pays et challenge de croissance dans une agence indépendante et ambitieuse.
Quels sont vos enjeux actuels et comment les adressez-vous ?
Nous sommes en pleine transition entre une croissance initiale simple (plus de clients, plus de projets, plus de collaborateurs) et une croissance complexe : de petite agence digitale et social media, nous sommes passés à une grande agence intégrée. Nous offrons une dizaine de services très différents. On ne peut pas appliquer les mêmes objectifs de rentabilité à toutes les équipes ; les mêmes process à tous les projets ; les mêmes outils à toutes les expertises, etc.
Comment au milieu de tout ça maintenir une rentabilité et une efficacité prévisibles ? Comment grandir sans s’écrouler sous notre poids ? Comment s’étendre sans s’étirer à l’excès ?
Trouver le point d’équilibre n’est pas seulement notre enjeu actuel, mais un enjeu permanent. J’ai la chance de n’être pas seul à pouvoir l’adresser, et d’être entouré d’une équipe de gens passionnés, non seulement par les métiers de l’agence mais aussi par son fonctionnement.
Comment imaginez-vous leurs concrétisations dans 5 ans ?
Un signe de réussite sera la stabilisation de ce qui fait déjà notre attractivité chez nos plus grands clients : la combinaison efficace, sous un même toit, d’offres de stratégie créative, de branding, de plates-formes digitales, et de production intégrée.
Nous y arrivons régulièrement, nous voulons maintenant y arriver systématiquement !
Quelle a été la création de valeur de la transformation digitale dans votre entreprise ?
Nous avons un ADN très digital depuis la création de l'agence en 2010, donc on ne peut pas dire qu’on n’ait jamais eu de problème de transformation.
Dès le début, nous avons mis en place des fondamentaux technologiques qui sont devenus structurant. Par exemple, le niveau minimal de tous nos employés en bureautique, ou leur capacité à intégrer régulièrement des nouveaux outils digitaux. Notre infrastructure et nos outils de base ont aussi été pensés pour être flexibles et permettre du travail à distance.
Dans une agence full services, il y a des choses qui sont à la fois très traditionnelles et très en pointe. Par exemple, nous proposons des services qui font énormément appel à l'IA, en parallèle de services print, de stratégie classique ou de communication corporate.
La problématique de transformation digitale se joue plutôt à l'externe, car tous nos clients ne sont pas au même niveau de maturité. Nous devons en permanence adapter nos pratiques et nos process à leur réalité. Généralement, nos équipes ont suffisamment d'appétence au conseil pour proposer aux clients des astuces et outils qui aident à accélérer l’efficacité de nos projets en commun.
Comment gérez-vous la tension et la pénurie de talents ?
Nous sommes au cœur d’une « pénurie potentielle multiple », à cause de notre configuration nécessitant une dizaine d'expertises très différentes. Certains profils sont très faciles à trouver et d'autres pas du tout.
Nous avons un important département créatif, et nous avons besoin de spécialisations parfois difficiles à recruter. Nous avons également l'aspect culturel car la Suisse- même francophone- n'est pas la France. Or il faut un vrai fit culturel, et un certain niveau de bilinguisme. Et enfin bien sûr le simple volume de ressources nécessaire à notre croissance…
Le recrutement est donc un sujet que nous prenons très au sérieux. Il commence avec des comités de recrutement bimensuels. Nous y remontons les besoins, les opportunités. Nous y déclenchons les ouvertures de postes. Le process cascade immédiatement dans la rédaction d’annonces et la diffusion sur les bons canaux. Nous avons un cycle permanent de recherche de CV, d’entretiens d’approche, de tests cours terme ou long terme grâce aux freelances. Nous travaillons le local, l’international, par recommandation directe, avec des agents… C’est un effort collectif de la direction, des RH, et des leads d’expertise.
Comment l'IA peut-elle être utilisée pour résoudre des problèmes environnementaux ou sociaux ?
Environnementalement parlant, c’est déjà une catastrophe, compte tenu de la quantité de serveurs, de processeurs spécialisés, de data centers supplémentaires. Nous étions déjà tombés dans ce travers avec la ‘crypto’. On a aucun souci à brûler la consommation d’énergie de villes entière pour un peu d’utilité et beaucoup de futilités. Le ratio utilité réelle /coût environnemental est pour moi de 1 pour 1000.
S’y ajoute une partie de la hype de l'IA qui prétend qu'elle va résoudre les grands problèmes, alors qu'en fait elle n’est vraiment utile que pour des petits problèmes de productivité- que personne n'avait vraiment demandé à résoudre d’ailleurs.
Bref nous ne résolvons rien, ni environnementalement ni socialement.
Quels conseils à un dirigeant qui souhaite intégrer et infuser l’IA dans chacune de ses ambitions?
Dans chacune ? Ne le faites surtout pas ! Il y a une bulle et les bulles retombent.
Il faudra du temps pour trier le bon grain de l’ivraie. Les utilisations intéressantes qui se dessinent ne vont pas faire frissonner la bourse - les vraies avantages de terrain comme la facilitation de certains types de recherches, ou l’accélération de la productivité dans nos domaines créatifs. Par exemple les recadrages intelligent, les détections de fonds, les corrections de visage à la volée, les déclinaisons automatiques de visuels clés… Tout ça est très utile et nous l’avons immédiatement adopté.
À côté de ça, certains influenceurs annoncent un futur proche ou l’IA permettra de diminuer le nombre de personnels nécessaires, d’automatiser des process administratifs, d’éliminer carrément certains jobs. C'est pas que je n’y crois pas, mais je n’y crois pas beaucoup. Dans ses utilisations fonctionnelles, le temps passé à devoir vérifier et corriger l’IA est au moins égal au temps de travail initial. Dans ses aplications « créatives », je suis convaincu que passé l’effet de mode les vrais artistes continueront à se démarquer.
Et puis la transformation digitale « classique » n’est même pas encore aboutie partout. Il y a toujours des gens, même dans les jeunes générations, qui ne maîtrisent pas les basiques de la bureautique… Et on prétend qu’une couche supplémentaire, une boîte noire, va augmenter, accélérer la transition et augmenter l'efficacité de ces mêmes personnes ? l’IA ne remplacera pas plus le travail intellectuel et créatif que la robotique a remplacé le travail manuel.
Le livre, le film et le lieu qui continuent de vous inspirer ?
J’ai lu au moins 3 fois toute l’œuvre de Terry Pratchett. C’est un des plus grands auteurs britanniques mais un des moins reconnus car il a essentiellement écrit de l'heroic fantasy, ce qui disqualifie évidemment de toute prétention littéraire. C’est un auteur absolument incroyable qui maîtrise à la perfection l’humour, le suspens, la fable morale et la satire sociale.
J’ai au bureau un livre petit livre de chevet qui s’appelle The Win Without Pitching Manifesto, par Blair Enns. C’est sorte de guide expliquant comment se positionner en tant qu'agence, comment dépasser le fait que nous sommes tellement amoureux du « frisson des pitch » que nous avons du mal à être rationnel et nous valoriser comme des consultants. J'aime bien les bouquins qui ne sont pas nécessairement super techniques mais qui remettent les idées en place.
Le lieu, c’est ici, en Suisse. Je suis né dans cette région genevoise, j'ai voulu toute ma vie y revenir. Je trouve ici un mélange ville et montagne qui me convient parfaitement.
Votre devise?
Je n’ai pas de devise au sens de boussole. En revanche j’ai des principes. Et en fait mon pasteur de père m’a marqué de plein de petites phrases, comme au hasard « Laisse toujours un endroit plus propre que tu l’as trouvé » . C’est une devise pratique, et en même temps terrifiante car elle peut s’appliquer autant à mes toilettes qu’à mon travail ou à la planète ;)
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