Stéphane Tourreau, Vice-Champion du Monde d'apnée
Stéphane Tourreau est né entre lac et montagnes au cœur des Alpes. Baigné dans le sport depuis ses premiers pas, il découvre réellement l’apnée et les fonds marins à l’âge de 10 ans en vacances en Corse. Cette expérience est une véritable révélation, loin des difficultés scolaires rencontrées depuis toujours. Il n’avait alors qu’une seule envie : partir à la découverte de cet univers aussi magique que mystérieux et de la manière la plus pure qui soit : en apnée.
Ayant toujours eu des troubles de l’attention, de la concentration et de l'anxiété, avec une hyperactivité mentale, l’apnée lui a permis de surpasser cette difficulté et lui a également permis de réaliser l’importance de la pratique de la méditation et de la respiration.
L’apnée est bien plus qu’un sport; c'est une véritable école de vie qui nous pousse à nous recentrer sur soi, à lâcher les peurs et vivre pleinement l’état de présence !
Il débute la compétition en 2007 avec le besoin de partager et développer l’activité en Haute-Savoie.
L’apnée prend alors une place importante dans sa vie. Il s’entoure d’un team initié par la découverte d’un préparateur mental, Loïc Gouzerh, qui l’aide dans ses premiers pas en tant que sportif de haut niveau. En 2016 je décroche mon premier titre en international (Vice Champion du Monde) qui lui ouvre un passage vers la professionnalisation.
Après des années de difficultés financières, il crée son entreprise et devient sportif indépendant. Une victoire professionnelle qui me permet également de partager cette expérience auprès d’autres entreprises en tant que conférencier.

La respiration est centrale en apnée. Quels sont les principes clés que tout dirigeant ou individu peut appliquer pour utiliser le souffle comme outil de recentrage et de performance au quotidien ?
Avant de parler spécifiquement des dirigeants, il faut comprendre que la respiration est un besoin fondamental pour nous tous, bien au-delà de la sphère professionnelle. Pourtant, ce n’est pas quelque chose que nous apprenons vraiment, même dans l’enfance. C’est assez surprenant : à l’école, on nous enseigne l’anatomie, les muscles, le fonctionnement du corps humain, mais jamais les bases de la respiration. C’est pourtant une fonction essentielle de notre organisme.
En apnée, « apprendre à respirer », c’est aussi apprendre à être. Pourquoi ? Parce que même en apnée prolongée, le corps continue de respirer. Pas au sens de la ventilation – cette action mécanique qu’on associe souvent au souffle – mais au sens des échanges gazeux, vitaux, qui se déroulent au niveau cellulaire. Quand je suis en apnée, mon corps continue à utiliser l’oxygène disponible pour alimenter mes cellules.
Cette distinction entre ventilation et respiration est fondamentale. La ventilation s’arrête, mais les échanges gazeux, eux, continuent. Cela montre à quel point le corps humain est incroyablement adapté pour économiser ses ressources. Par exemple, pendant une apnée, notre organisme active des mécanismes de survie remarquables : vasoconstriction périphérique pour concentrer l’oxygène dans les organes vitaux, libération de globules rouges supplémentaires par la rate, et même une vascularisation accrue du cerveau et des poumons. Ce sont des adaptations que nous ne sollicitons jamais consciemment, alors qu’elles sont naturelles et puissantes.
Ces phénomènes physiologiques ont également des impacts émotionnels et hormonaux. La pratique de l’apnée agit comme un véritable anti-dépresseur naturel : elle stimule la production d’hormones qui stabilisent nos émotions et favorisent l’équilibre intérieur. C’est pour cela qu’on observe souvent un lien entre les troubles d’anxiété ou de stress et une mauvaise respiration. Beaucoup de personnes, sans le savoir, souffrent d’hyperventilation chronique, ce qui aggrave leur état émotionnel.
Pour y remédier, il existe des outils simples et accessibles que tout le monde peut intégrer au quotidien. Par exemple, pratiquer la marche en semi-apnée, faire des exercices de mobilité du diaphragme, ou même se masser le ventre pour libérer les tensions viscérales accumulées par le stress. Ce dernier point est souvent négligé, alors qu’il a des effets profonds sur notre bien-être.
Ces pratiques ne demandent ni beaucoup de temps ni d’efforts particuliers. On peut les faire en travaillant à son bureau, en voiture ou même en marchant. Elles sont à la portée de tous et permettent de rétablir une connexion essentielle avec notre souffle, notre corps et nos émotions.
Vous avez vécu des moments de grande pression sous l’eau. Comment la respiration consciente peut-elle aider à désamorcer le stress dans des situations intenses, comme une prise de décision critique ou un discours important ?
La respiration est un outil puissant pour gérer le stress, et il existe des exercices simples que l’on peut pratiquer dans des moments clés. Une technique que j’utilise souvent consiste à alterner entre des respirations rapides et profondes, puis à ralentir progressivement le rythme. Je commence par plusieurs inspirations et expirations intenses, puis je ralentis jusqu’à ressentir un état de détente, parfois accompagné d’un léger vertige. Par exemple, on peut expirer complètement pour vider ses poumons, rentrer le diaphragme sous les côtes afin de l’étirer, reprendre une grande inspiration, et enfin relâcher.
Ce type d’exercice ne prend que quelques secondes et peut être utilisé pour se préparer avant de dormir, lors d’une micro-sieste, ou même avant un événement stressant. Certaines techniques, comme celles qui impliquent de respirer dans un ballon pour limiter l’apport en oxygène, sont également utilisées pour renforcer les poumons et gérer l’anxiété. Cependant, le plus important est de privilégier des pratiques accessibles et simples.
Trop souvent, dans le développement personnel ou le coaching, on propose des méthodes complexes ou exigeantes, ce qui décourage leur mise en pratique. Pourtant, les changements les plus efficaces viennent des petits gestes, des processus modestes mais réguliers. Il ne s’agit pas de se lancer dans un stage intensif de pranayama en forêt, mais plutôt d’intégrer des exercices très basiques dans sa routine quotidienne.
La clé réside dans la reconnexion au corps et la pleine présence. La respiration et le relâchement vont toujours de pair. Par exemple, les pratiques de pleine conscience, qui utilisent les cinq sens – le toucher, la vue, l’ouïe –, sont très efficaces pour nous recentrer sur notre environnement et sur nous-mêmes. Cela permet d’ancrer nos processus et d’être plus attentif à notre souffle tout au long de la journée.
Avec la pratique, on développe une forme de conscience élargie, comme si une caméra extérieure observait nos pensées et nos actions. Cela améliore non seulement notre gestion du stress, mais nous incite également à adopter de meilleures habitudes pour notre bien-être, comme intégrer un peu plus d’exercice ou de moments de calme dans nos journées.
Dans vos formations, vous mettez l'accent sur la connexion entre le souffle et les émotions. Comment un meilleur contrôle de la respiration peut-il aider à gérer les émotions, particulièrement dans des périodes d'incertitude ou de crise ?
La respiration joue un rôle fondamental dans la gestion des émotions. Elle permet de rétablir un équilibre hormonal, chimique et cérébral, ce qu’on appelle l’homéostasie. Pratiquer des exercices de respiration régulièrement peut donc avoir un impact considérable sur notre capacité à gérer le stress et les émotions, même dans des périodes d’incertitude ou de crise.
Par exemple, des pratiques comme la marche afghane sont excellentes pour se recentrer. Cette technique consiste à synchroniser sa respiration avec ses pas : on inspire pendant quelques pas, on retient sa respiration pendant un temps donné, puis on expire en continuant à marcher. Cela favorise un état de calme et de concentration. Personnellement, j’ai beaucoup travaillé la marche en apnée, un exercice qui permet d’améliorer la tolérance au CO2 (l’hypercapnie) et d’augmenter sa capacité à rester détendu même en conditions intenses.
La natation est également un excellent moyen de renforcer cette connexion entre souffle et émotions. Elle sollicite fortement le système respiratoire tout en imposant des moments prolongés sous l’eau. Cela permet de mieux travailler l’accumulation du CO2 dans le corps et de repousser les sensations inconfortables liées au besoin de respirer. En outre, le fait de se mouvoir dans l’eau procure une sensation de légèreté et d’apaisement qui est bénéfique pour l’esprit.
Pour les non-sportifs ou ceux qui souhaitent commencer en douceur, de simples exercices de respiration peuvent suffire à faire une grande différence. Une marche en plein air, quelques séances de natation, ou même un footing léger en pleine nature sont autant de moyens simples et accessibles pour se reconnecter à son souffle et, par extension, à ses émotions.
Il est aussi important d’avoir une activité physique régulière, ne serait-ce qu’une randonnée ou un peu de cardio. Ces activités aident à équilibrer les bienfaits de la respiration et à éviter de trop "s'encrasser" lorsque l’on ne sollicite pas assez les poumons ou le système cardiovasculaire.
Le souffle est une porte d’entrée vers un état de sérénité. En apprenant à mieux respirer, on apprend aussi à mieux vivre avec ses émotions, quelles que soient les circonstances.
Quels exercices simples recommanderiez-vous aux professionnels pour intégrer une routine respiratoire qui améliore leur concentration et leur bien-être ?
Pour intégrer une routine respiratoire accessible et efficace, je recommande des exercices simples qui ne demandent pas beaucoup de temps ou de préparation. Par exemple :
La marche en apnée : C’est un exercice que j’apprécie particulièrement. En marchant, vous retenez votre souffle pendant quelques pas, puis vous respirez normalement sur deux ou trois cycles avant de recommencer. Cela booste l’oxygénation cérébrale et améliore votre tolérance au CO₂. Il faut cependant être à l’écoute de son corps pour éviter tout inconfort excessif. En quelques minutes, cet exercice peut avoir des effets bénéfiques sur votre concentration.
Étirements du diaphragme : Un autre exercice consiste à expirer complètement, à rentrer le diaphragme sous les côtes, et à effectuer de petits mouvements pour le détendre. Vous pouvez en profiter pour masser doucement la zone abdominale en faisant des cercles lents avec les mains. Cela aide à relâcher les tensions accumulées et à stimuler les viscères.
Respirations en pleine conscience : Il s’agit simplement de ralentir le rythme respiratoire, en inspirant et expirant profondément. Une variante consiste à adopter une respiration "en trois temps" : une inspiration sur trois secondes, une pause, et une expiration lente. Ces exercices favorisent l’apaisement mental et peuvent être faits avant un moment stressant ou en fin de journée pour faciliter la récupération.
Natation et coulées sous l’eau : Pour ceux qui ont accès à une piscine, la natation est un excellent moyen d’améliorer la gestion du souffle. Pratiquez des coulées sous l’eau en retenant votre respiration avant de refaire surface. Cela renforce non seulement vos capacités respiratoires, mais procure également une sensation d’apaisement grâce au contact avec l’eau.
Conseils additionnels : Il est important de s’écouter et de ne pas se forcer à des exercices trop intenses. Même de courtes pratiques régulières peuvent avoir un impact profond sur votre bien-être. Enfin, n’oubliez pas de respecter vos besoins de repos. Le système nerveux, en particulier, a besoin de pauses pour se régénérer pleinement, ce qui vous permettra de repartir avec une énergie renouvelée.
Au-delà de la respiration, comment l’apnée vous a-t-elle permis de développer une approche plus globale de la vie, et comment cela peut-il inspirer les dirigeants dans leur recherche d’équilibre entre performance et sérénité ?
L'apnée m'a permis de développer une vision globale de la vie, car elle m'a appris à être pleinement présent, à l'instant. C'est un problème fondamental de l'humanité actuelle : nous sommes déconnectés de nous-mêmes, de notre environnement, de notre intuition. Cette dissociation nous empêche d'être réceptifs à des signaux essentiels. Or, tout ce que nous faisons en développement personnel, à travers des exercices ou des outils, vise simplement à compenser ce qui est fondamental : la pleine présence. Être présent dans son corps, qui est notre maison, et dans son environnement immédiat. Cette idée me vient notamment du livre Le Pouvoir du moment présent, qui m'a profondément marqué. C'est exactement ce que l'apnée m'a appris à travers la nécessité de revenir constamment à soi, de se recentrer pour respirer et relâcher les tensions.
L'apnée est un sport qui impose une grande gestion émotionnelle. Lorsqu'on doit descendre à plus de 120 mètres de profondeur, en compétition, avec la pression des juges, des caméras et des enjeux, il devient essentiel de gérer ses émotions. Ce sport est unique en ce sens, car il demande de maintenir un cœur calme et un esprit relâché, même lorsqu’on se trouve dans un environnement aussi extrême. Mais l'apnée seule ne suffit pas. La méditation m'a permis de compléter cette approche et d'aller plus loin, car gérer ses émotions, c'est d'abord être dans l'instant présent. Plus on est pleinement présent, plus on est capable de gérer ses émotions. En effet, le stress provient de l'accumulation des expériences passées et de la projection négative vers l'avenir. C'est ce qui crée la tension : nous sommes soit dans le passé, soit dans le futur, mais rarement dans le présent. Et c'est dans ce présent que l'on trouve la clé pour gérer le stress et atteindre un équilibre durable.
Quel est le livre, le film et el lieux qui continuent de vous inspirer ?
Le livre Le Pouvoir du Moment Présent d'Eckhart Tolle m’a profondément marqué. Bien que je ne sois pas un grand lecteur, ce livre m’a aidé à mieux comprendre l'importance de la pleine présence, en particulier pour quelqu’un qui lutte contre des troubles de la concentration. Cela m’a permis de mettre en place des outils pour mieux gérer ma vie et mon sport.
Un film particulièrement inspirant est La Légende de Black Swan, un film sur la pleine conscience que peu de gens connaissent, malgré sa profondeur. Il apporte une grande dose de bonheur et une nouvelle perspective sur l’éveil et le développement personnel. Il évoque des thèmes importants de préparation mentale et de conscience de soi. Le Guerrier Pacifique, un autre film qui a eu un grand impact sur moi, avec un message fort sur la persévérance et l'éveil intérieur.
Je me ressource souvent dans des lieux naturels comme la forêt en Haute-Savoie, ou en montagne. Le volcan de Tenerife, avec son altitude de 3700 mètres, est un lieu extrêmement puissant et magique pour se ressourcer. La nature, et en particulier la terre, joue un rôle clé dans mon équilibre. Je suis un homme d'eau, donc cherche parfois à me reconnecter à la terre pour rétablir cet équilibre naturel. Cela reflète une recherche d'harmonie entre la pleine conscience, la gestion des émotions et l’importance de se connecter avec soi-même et la nature.
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